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mardi 19 février 2013

La Conférence de Sécurité et Coopération Européenne et l’échange d’informations économiques : sources de l’intelligence économique en Europe ?



Tous les experts sont d’accord pour reconnaitre le rôle essentiel joué par la CSCE dans les domaines de la sécurité, le désarmement, les mesures de confiance et la coopération[1] en Europe. Mais  on oublie souvent que simultanément à ces piliers, l’ancêtre de l’OSCE  a initié très tôt des actions dans d’autres domaines,  comme l’information économique,  le partage des connaissances en sciences et techniques, la culture, la dimension humaine, les relations sociales, …et d’autres thèmes encore non systématisés. 

En effet, en pleine période de la guerre froide, 34 pays se sont mis d’accord en 1972 pour entamer des dialogues et des négociations entre l’Est et l’Ouest, sur des sujets touchant la sécurité, le contrôle d’armement, le domaine humanitaire, le commerce ou encore la liberté. L’agenda thématique a été organisé autour de trois grands chapitres, appelés corbeilles[2], respectant un code de conduite présenté selon dix principes intangibles[3] .

Les analyses concernant l’accès à la connaissance scientifique, technologique ou industrielle, l’information économique et commerciale, les relations humaines, la culture, la coopération tous azimuts, les liens sécurité-économie, entre autres, ont été à l’ordre du jour des 44 rencontres qui ont eu lieu dans diverses capitales européennes entre 1972 et 1992. Trois séminaires spécifiques en particulier se sont tenus : le forum scientifique  à Hambourg du 18 février au 03 mars 1980;  le forum de la culture à Budapest  du 15 octobre au 25 novembre 1985; le forum de l’information à Londres du 18 avril  au 12 mai 1989, entre autres réunions spécialisées[4].

Il est notable que plusieurs variables et indicateurs faisant partie intégrante de l’intelligence économique version 2013 ont été inclues dès cette époque dans la feuille de route issue des deux documents fondateurs du processus d’Helsinki[5]  et ont été traités par la suite parmi les autres 22 documents.  Dans ces derniers,  l’information, la coopération et la sécurité sont les dénominateurs communs de tous les sujets abordés, en utilisant une méthodologie que des nombreux experts définissent aujourd’hui  comme  « mutualiser et favoriser le développement des pratiques, des dialogues et d’engagement citoyen », favorisant ainsi la connaissance par l’interaction sociale.

Ainsi  depuis 1972 au sein de la CSCE  différents thèmes ayant trait à l’intelligence économique ont été développés, comme par exemple :

• « Favoriser le développement d’échanges d’informations économiques et commerciales par l’intermédiaire de la coopération, des chambres de commerces et d’autres organismes »
  «  Créer les conditions favorables à la coopération industrielles, scientifique, technologique, développer l’échange d’information dans ces domaines »
  « Mettre en place la formation des cadres dans les différents domaines d’activité économique »
  « Promouvoir la coopération  de la culture et  leur échanges d’expériences » «  reflet de la richesse de l’identité culturelle commune des États participants »
  « Faciliter une diffusion plus libre et plus large des informations de toute nature »
  « Encourager la coopération dans les domaines de l’information sur la base d’accords» car « Information économique permet de prévoir l’évolution de l’économie, utile à la prospection… »
• « …l’influence, l’innovation, la cohésion sociale, les aspects juridiques…. »

Lors de l’acte final de la conférence d’Helsinki (1973-1975[6]), les États participants  ont réaffirmés leur conviction que la coopération dans les domaines du commerce, de l’industrie, de la science et de la technique, de l’environnement, de l’éducation et d’autres secteurs de l’activité économiques, contribuent au renforcement de la paix et de la sécurité en Europe et dans le monde entier[7].  

Dans ce document, les experts ont insisté sur :
-        Le rôle majeur de l’information (économique commerciale, technique, scientifique, industrielle, juridique, culturelle…) dans le développement du commerce international, les relations culturelles, la sécurité et  la coopération.
-       Les échanges d’informations dans ces secteurs aident aux renforcements de mesures de confiance, l’extension des contacts entre les personnes. Faire partager des expériences est un élément essentiel dans ce sens.
-         L’information économique doit assurer une prospection commerciale appropriée, élaborer des prévisions, faciliter les échanges et une meilleure utilisation dans les activités du commerce.

Actuellement, les experts sont proches de l’état d’esprit des fondateurs de la CSCE car ils sont d’accord pour affirmer que la sécurité est un pré requis à niveau stratégique et opérationnel,  un élément essentiel pour le développement économique. Comme eux, ils affirment  que l’information, reconnue plus tard en tant qu’Intelligence Économique, participe à la coopération, l’influence, le développement,  contribue à la cohésion sociale,  l’innovation, l’importance de la veille scientifique, technologique, juridique, ou encore que l’Intelligence culturelle devient un facteur d’influence, etc.…   

Est-il donc aujourd’hui légitime d’affirmer que les initiatives de la CSCE ont été dès 1972 l’une des sources de  la construction de ces disciplines, et de leur redonner toutes leurs lettres de noblesse ainsi  que la place qui leur revient dans l’élaboration des politiques publiques d’intelligence économique actuelles ?  A la communauté des experts de se saisir du sujet. A suivre.

 Paris, le 15 février 2013, Mario Sandoval, Vice-président de l’AIFIE.



[1] Processus qui commence le 05 mai 1969 où la Finlande accepte d’accueillir une conférence traitant ces sujets, puis le discours du président Pompidou au Kremlin du 06 octobre 1970, l’accord quadripartite du 02 septembre 1971 sur le statut de Berlin,  ainsi que la signature de l’accord Salt I du 26 mai 1972, et le sommet de l’Otan du 30-31  mai 1972
[2] 1) Questions relatives à la sécurité en Europe; 2) Coopération dans le domaine de l’économie, de la science et de la technique, et de l’environnement, 3) Coopération dans les domaines humanitaires et autres. Les corbeilles sont devenues actuellement des dimensions.
[3] Le décalogue : 1- Egalité souveraine, respect des droits inhérents à la souveraineté, 2- Non-recours à la menace ou à l’emploi de la force, 3- Inviolabilité des frontières, 4- Intégrité territoriale des Etats, 5- Règlement pacifique des différends, 6- Non-intervention dans les affaires intérieures, 7- Respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, 8- Egalité de droits des peuples et droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, 9- Coopération entre les Etats, 10- Exécution de bonne foi des obligations assumées conformément au droit international. 
[4] Dix réunions d’experts sur divers sujets, un colloque sur le patrimoine culturel à Cracovie du 28 mai au 07 juin 1991 ; deux séminaires, l’un sur la coopération en Méditerranée à Venise du 16 au 26 octobre 1984 et l’autre sur les institutions démocratiques à Oslo du 04 au 15 novembre 1991
[5] Document n°1 Recommandations finales des Consultations d’Helsinki du 22 novembre 1972 au 08 juin 1973
  Document n°2 Acte final de la conférence d’Helsinki, qui s’est tenu en trois phases : du 03 au 07 juillet 1973, du 18 septembre 1973 au 21 juin 1975, et du 30 juillet au 01 août 1975. http://www.osce.org/fr/mc/39502?download=true    
[6] Document n°2 http://www.osce.org/fr/mc/39502?download=true  : Acte finale de la conférence d’Helsinki, qui s’est tenu en trois phases : du 03 au 07 juillet 1973, du 18 septembre 1973 au 21 juin 1975, et du 30 juillet au 01 août 1975.
[7] Sécurité et Coopération en Europe. Les textes officiels du processus d’Helsinki. Emmanuel Decaux, la Documentation Française, 1992

lundi 11 février 2013

La perception de l’information parfaite chez les classiques et les néoclassiques



Pour les économistes classiques et néoclassiques, l’accès et la circulation de l’information (des personnes, produits et prix) est un facteur compétitif dans les échanges commerciaux. 

Smith et Ricardo l’ont démontré avec les principes de l’avantage absolu et de l’avantage comparatif. Leurs analyses du commerce mondial et de la connaissance du marché débouchent sur le constat que l’information est  parfaite[1], censée être gratuite, d’immédiate consommation, décrivant tous les secteurs de ce marché, et disponible à tous les acteurs participants. Ainsi, cette transparence de l’information devient par la suite l’une des cinq conditions[2] de la concurrence pure et parfaite. Mais, est-elle conforme à la réalité du marché compétitif ?

Ces théoriciens économique de l’époque avaient leur perception propre du marché et du rôle de l’information dans le commerce, qui doit  être complétée  par le fait que la concurrence est une lutte, un combat, une manœuvre où l’on dissimule, cache l’information[3] ; cette concurrence est  plutôt imparfaite et l’asymétrie informationnelle entre les acteurs économiques est la règle, car :
-          L’information est imparfaite par l’inégalité de connaissances à faire partager, à la fois sur la qualité des produits, les attitudes des salariés, les facteurs de production,  etc.,
-          L’information n’est pas gratuite,  à la fois par l’existence du métier de courtier et par le fait que les acteurs sur le marché sont disposés à payer pour se procurer une meilleure information. 
-          Le facteur  temps dans la circulation de l’information : Celle-ci  pouvant circuler avec un retard, l'adaptation de l'offre et de la demande peut ainsi être retardée. 

Deux approches pourraient s’associer à ces commentaires :
John Maynard Keynes « considérait que l'imperfection de l'information faisait ressembler ces marchés à des concours de beauté, où le but n'est pas d'élire celui qu'on pense être le plus beau (ou le plus rentable), mais celui qu'on pense que les autres pensent être le plus beau. Ainsi un marché aura tendance à former des bulles spéculatives. »[4]

L’optique cognitive (réactivité, captation et interprétation)[5] dans la perfection de l’information constitue avec le tableau de cotation  de l’information les deux éléments essentiels pour reconnaître la qualité de l’analyste et de l’interprétation de l’information. 
Tout d’abord, et malgré le fait que l’information soit transparente pour tous les acteurs du marché,  les analystes ne pourront pas traiter toutes les informations en temps réel et sans inertie dans le cas d’une réactivité limitée.
Ensuite concernant la captation et l’interprétation de l’information, elle peut être fondée sur des critères psychologiques ou des croyances,  pouvant ainsi déboucher sur des comportements d’«aveuglement au désastre fondé sur la myopie des opérateurs »

Cette analyse cognitive est valable pour toutes les disciplines traitant de l’information et du renseignement.

Finalement, dans cette perspective et afin de continuer le débat  dans le cadre de l’intelligence compétitive globale, les experts pourront continuer à alimenter et enrichir la réflexion de l’information parfaite telle que présentée par les classiques et néoclassiques. A suivre donc.  
Paris, le 10 février 2013.-


[1] William Stanley Jevons (1835-1882) introduit le concept d’Information Parfaite
[2] L’atomicité du côté de l’offre et de la demande, l’homogénéité des produits, la transparence de l’information, la libre entrée et sortie sur le marché, la libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail)
[3] O Morgenstern, Thirteen  Critical Point in Contemporary Economic Theory: An Interpretation, in  Théories de la firme et Stratégies Anticoncurrentielles, Firme et Marché, Faruk Ulgen, 2003, ed. Harmattan, page 23.
[4] L'image du concours de beauté est une métaphore pour illustrer le fonctionnement du marché boursier, chapitre 12, Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie, John Maynard Keynes, (1936).
[5] Plihon 2000, Orléan 1999, in Théories de la firme et Stratégies Anticoncurrentielles, Firme et Marché, Faruk Ulgen, 2003, édition. Harmattan, page 43.